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jeudi 1 mars 2018

Ella Fitzgerald, l'égérie de la grâce (en)chantée (L'Humanité)

Ella Fitzgerald
Ella Fitzgerald




Deux anthologies célèbrent le centenaire de la petite orpheline, devenue une étoile du XXe siècle. Acrobate du scat autant que déesse de la ballade, Ella chante la vie, s’engageant dans son art totalement.




Fara C., L'Humanité le 15.12.2017

Naquit-elle en 1918?? C’est ce qu’indiquaient, depuis des décennies, la plupart des ouvrages de référence sur Ella Fitzgerald, y compris le très sérieux Dictionnaire du jazz (chez Robert Laffont). Ou, comme on le lit désormais en diverses publications, en 1917?? Si l’on accepte cette date, à l’exemple du mensuel Jazz Magazine dans son édifiant dossier sur la diva en avril 2017, on fête le centenaire de la naissance d’Ella Fitzgerald, décédée en 1996, avec, notamment, deux coffrets complémentaires, d’une part The 100 Greatest Hits of Ella Fitzgerald, d’autre part Ella Fitzgerald Live in Paris 1957-1962. Nous avons déjà dit notre admiration pour la petite orpheline mal fagotée qui, par sa seule voix et son labeur acharné, s’est imposée comme l’égérie de la grâce (en)chantée. De surcroît, la «First Lady of Song» a mis sa puissance musicale au service de la lutte pour les droits civiques, en particulier lors d’un concert de soutien à Martin Luther King.

Le journaliste Lionel Eskenazi rappelle à raison que «si Ella est la chanteuse de jazz la plus célèbre au monde, elle ne doit pas son succès à son physique, ni à des opérations de marketing, mais uniquement à son immense talent».

L'’anthologie qu'’il a conçue avec amour, The 100 Greatest Hits of Ella Fitzgerald (5 CD), salue le centenaire d’'Ella à travers 100 chansons gravées entre 1945 et 1962, période éminemment créative. La sélection donne une excellente idée de l’évolution de la vocaliste et de l’étendue inouïe de son art. Le soleil de son chant illumine standards, classiques de Broadway, pièces de Duke Ellington, Dizzy Gillespie… Un volume réunit des extraits de concerts. Pas d’informations sur les dates d’enregistrement, ni sur la composition des orchestres. Mais, à un prix modique (17 euros), on embarque pour un splendide voyage sur les ailes du swing.

Dès qu’elle chantait , elle se libérait des douleurs qui hantaient les tréfonds de sa conscience

Quant au coffret de 3 CD, Ella Fitzgerald Live in Paris 1957-1962, peaufiné par Gilles Pétard et Michel Brillié, il bénéficie du minutieux travail éditorial qui distingue le label ­Frémeaux. On plonge dans l’exaltation, l’exultation, qu’'Ella engendrait sur scène, à l’instar des concerts à l’Olympia révélés ici. À ses côtés, la fine fleur du jazz, le pétillant pianiste Lou Levy, le rare violoniste Stuff Smith, le magistral batteur Jo Jones… Ella la solitaire, qui n’a pas connu son père et dont la mère est morte tôt, répétait que son public était sa vraie famille. Dès qu'’elle chantait pour lui, comme en témoigne ce coffret avec brio, celle qui a grandi cahin-caha dans l’'horreur du ségrégationnisme se libérait des souffrances qui hantaient les tréfonds de sa conscience.





Ella Fitzgerald, live - April In Paris




Jadis, des critiques lui reprochèrent une froide perfection. François Billard parle de leur « attitude corporative », dans son livre les Chanteuses de jazz. En 1985, le batteur, compositeur et activiste afro-américain Max Roach (1924-2007), après sa participation au concert Free Mandela à la Fête de l’Humanité (avec Bernard Lubat, Eddy Louiss, Salif Keita…), nous expliquait : « Ella s’est heurtée à l’ambivalence qui s’est souvent manifestée – et continue de sévir – envers les Afro-Américains. Elle incarnait une maestria artistique, ne se camait pas, n’était pas alcoolique, restait discrète sur sa vie personnelle. Bref, elle ne fournissait pas d’anecdotes croustillantes à la presse, n’entrait pas dans les critères paternalistes dont certains critiques étaient imprégnés. Elle ne suscitait pas le misérabilisme que l’on pouvait percevoir chez ces critiques envers Billie Holiday, qui se droguait. Pour moi, Ella a contribué, à sa façon, à la progression de notre peuple : en s’engageant dans son art totalement et selon une dignité absolue. » Dans les étincelles du chant d’Ella ne se niche pas tant de l’insouciance qu’une volonté inexpugnable de refuser le statut de victime. La solaire acrobate du scat nous emporte avec elle dans son vertigineux hymne à la vie.

Perles exhumées

Avec le CD Live at the Concertgebouw 1961, le label Fondamenta  rend vie au superbe concert d’Ella Fitzgerald  à Amsterdam. Par une fine restauration, Fondamenta donne une nouvelle jeunesse à des enregistrements rares ou inédits. Autre perle exhumée : l’album de la consœur d’Ella, Sarah Vaughan, Live At Laren Jazz Festival 1975, un concert capté aux Pays-Bas. Doté d’un livret de 24 pages (en français et en anglais), avec de belles photos, chaque CD coûte 15 euros (le prix d’un admirable travail sonore et éditorial). En offrant ces disques à ceux qu’on aime, on ne peut qu’apporter du bonheur.



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