Herbie Hancock |
ENTRETIEN Pianiste, claviériste et compositeur de jazz, Herbie Hancock sera une des têtes d’affiche du festival Jazz à Vienne (Isère) qui se tient du 29 juin au 13 juillet. Le légendaire jazzman évoque son parcours, ses rencontres et la musique.
La Croix : Vous entamez ce soir, à Paris, une tournée européenne. Vous êtes heureux de revenir ?
Herbie Hancock : C’est un immense plaisir de jouer en France ! Le public français est tellement respectueux du jazz. Il est prêt à accepter les nouveautés qu’on lui présente, à entendre des morceaux inédits. Je respecte ça, j’aime l’idée de me dire qu’il n’y a pas d’a priori. Je pense que c’est la meilleure façon d’écouter de la musique. J’ai toujours l’espoir d’apporter de nouvelles choses.
Il y a quelques années, j’ai joué en France avec Wayne Shorter et nous avions décidé de ne pas préparer une liste de morceaux, de faire des concerts complètement improvisés. Notre premier essai a eu lieu à Paris. Les gens savaient que c’était de la pure improvisation et ils étaient fascinés, connectés. Ça a été un de nos meilleurs concerts. Le public parisien nous a vraiment encouragés à poursuivre dans cette voie nouvelle. Nous ne l’avons pas oublié.
Depuis soixante ans, vous n’avez jamais cessé de prendre la route l’été…
H. H. : J’adore être sur la route. Il n’y a qu’un seul moment que je n’aime pas, c’est le tout premier instant, quand on s’en va, qu’il faut quitter la maison et partir à l’aéroport. Mais ensuite, une tournée, je m’y engage pleinement, j’oublie tout le reste. Toute ma musique démarre là, en concerts, sur scène.
Vous qui êtes une légende du jazz, toujours à l’avant-garde à 77 ans, que pensez-vous de la jeune génération ?
H. H. : Il y a beaucoup de jeunes lions dans le jazz ! Terrace Martin aux claviers et saxophone, – c’est aussi le producteur de mes nouveaux disques –, le bassiste James Genus, le pianiste Robert Glasper, le saxophoniste Kamasi Washington, le rappeur et poète Kendrick Lamar… J’aime jouer avec des musiciens de rap, d’électro, de Rhythm & Blues, mélanger les musiques.
Y a-t-il des choses que vous regrettez de ne pas avoir faites durant votre vie en musique ?
H. H. : Parmi mes plus grands regrets, je n’ai jamais entendu Clifford Brown ni Charlie Parker de leur vivant. J’aurais adoré, mais ils sont morts avant que j’aie l’âge d’aller dans des clubs de jazz. Bien sûr, j’ai eu la chance de rencontrer et de jouer avec les plus grands : Dizzy Gillespie, Charlie Mingus, Benny Goodman, Lionel Hampton, Miles Davis… J’ai eu l’immense privilège de travailler avec des personnes que j’admirais, Lang Lang, Gustavo Dudamel, de nombreux artistes pop ou rock.
Une rencontre marquante ?
H. H. : J’ai fait un duo très imprévu avec David Bowie. Je suis bouddhiste, et un jour, alors que je chantais mes prières dans mon salon à Los Angeles, un ami l’a emmené chez moi à l’improviste. J’étais à genoux en train de psalmodier et d’un seul coup, j’entends quelqu’un d’autre qui chante aussi. C’était Bowie qui venait de me rejoindre. Donc, on peut dire en quelque sorte que nous avons fait une session en duo.
Et en dehors de la musique ?
H. H. : J’aurais aimé rencontrer Albert Einstein à Los Angeles. Je m’intéresse de plus en plus aux sciences. Les technologies concernent tous les aspects de nos vies, mais particulièrement en musique, où ce que l’on entend vient des sensations captées par nos oreilles, transmises à nos cerveaux. Nous vivons de la musique. On peut mesurer scientifiquement son impact sur nos émotions, nos pensées, elle peut nous faire pleurer ou sourire, elle peut soigner… On n’était absolument pas conscients de cela dans les années 1960 quand on jouait.
À l’Institut de jazz Thelonious-Monk, que je préside, nous avons un programme de “Sciences des mathématiques et de la musique”. On étudie l’échantillonnage des sons, à quel point les compositions sont fondées sur la science, combien de temps il faut tenir une note. Les notes sont fractionnables, les gammes représentent des échelles, c’est mathématique. Quand on travaille les harmonies pour obtenir des sonorités plus aiguës, c’est de la physique.
Et quand une sonde ou un vaisseau spatial transmet des signaux à la terre, l’information passe par des ultrasons. Une histoire qui me fascine, la sonde Junon qui a été envoyée en orbite autour de Jupiter, en a fait le tour 33 fois et 1/3 avant de s’écraser. 33 tours 1/3, c’est exactement le format d’un disque, c’est incroyable ! C’est passionnant d’en discuter avec des scientifiques, je pourrais en parler des heures…
Recueilli par Nathalie Lacube , La Croix le 4.07.2017
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