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mercredi 7 juin 2017

John Lee Hooker en trois chansons (Télérama)



John Lee Hooker
John Lee Hooker
   

John Lee Hooker, pour qui sonnent ces serpents… 

Blues ? Folk ? La première fois que John Lee Hooker a envahi les juke-box américains, c'était en 1948 et pour Modern Records, le label de Los Angeles qui commercialisait la chose, Boogie chillen était un disque race. Musique noire a priori faite pour les Noirs.


Jusque-là, l'itinéraire de JLH était plutôt classique: né au fin fond du Mississippi, fils de fermier élevé dans la religion (baptiste), ado fuguant pour traîner à Memphis, montant ensuite à Detroit, travaillant comme gardien dans une usine automobile, jouant le soir dans des clubs…

Moins associé au Chicago blues électrifié que Muddy Waters ou Howlin' Wolf, il s'est adapté, comme eux, aux demandes du marché. Quitte à jouer sur deux tableaux en même temps, boogie tirant sur le jazz d'un côté, folk-blues de l'autre. D'où une discographie où il est facile de se mélanger les pinceaux.

En 1959, Riverside, label plutôt jazz à l'origine — fondé par Orrin Keepnews, qui joua un rôle-clé pour Monk et Bill Evans — participe au revival du folk traditionnel. The Country blues of John Lee Hooker sort donc cette année-là, en même temps que House of the blues (chez Chess) et I'm John Lee Hooker (Vee-Jay).

Dans le dépouillement acoustique ici de rigueur, on entend Black snake, une suite, plutôt qu'une variante, du fameux Crawlin' king snake que s'appropriera plus tard Jim Morrison avec les Doors.

Le serpent noir n'est plus le triomphant accessoire personnel qui régente sa maisonnée. C'est un autre, l'ennemi, le rival. A mean black snake suckin' my rider's tongue… On ne peut pas le dire plus explicitement. Notre homme veut donc régler le sort du méchant serpent par tous les moyens disponibles, il songe à une décoction de hanches (?) de crapaud. Le salaud ne s'avisera plus alors de « s'insinuer par la porte de derrière ». Typiquement le genre d'image, d'histoire, de son, qui faisait le ravissement des petits amateurs blancs à l'éducation stricte, futurs hérauts du rock.

John Lee Hooker - Black Snake





John Lee Hooker, père de tous les Morrison

Vers la cinquantaine, John Lee Hooker s'est découvert tout un tas de fans. Il y avait ce quatuor de hippies californiens qui l'invitait à jouer sur scène un morceau appelé Roadhouse blues. Mais aussi des types issus des îles britanniques : Eric Burdon et ses Animals (dont le cœur a fait Boom boom), Mick Jagger, Keith Richards et leurs Rolling Stones ; et last but not least, Van Morrison : sur le premier album de Them, il chantait déjà Don't look back. Plus tard, il convia lui aussi la vieille canaille à partager sa scène (cf le splendide A Night In San Francisco).

Jusqu'au jour où les deux vénérables joignirent leurs forces pour l'album Together (1992). Ils duettisent encore cinq ans après sur quatre titres du Don't Look Back de Hooker. Dont The Healing game (de Van M.) et son propre classique Dimples revisité.

L'original remonte à 1956, sorti en single chez Vee-Jay — label qui publiera sept ans après Introducing… The Beatles, et dont le patron James Bracken co-signait parfois ses productions, c'est le cas de Dimples. John Lee Hooker est accompagné par le groupe de Jimmy Reed, et en écoutant ces 2 mn 13 on saisit tout ce qui a pu inspirer le jeune Van Morrison — même si ce sont les Animals, encore eux, qui se sont emparés de celle-là, et non Them.

Le blues, mais avec cette approche assez libérale du beat qui était la marque de John Lee Hooker. Il était notoire que l'animal n'était pas toujours un cadeau pour ses accompagnateurs, qui devaient le surveiller en permanence pour savoir sur quel pied swinguer — cette singularité fait furieusement penser à certain Bob D., qui saura lui aussi se souvenir du vieil oncle (cf Obviously 5 believers). Dimples est cousin de la Susie Q de Dale Hawkins et le motif a été reproduit à des dizaines d'exemplaires par la vague blues-rock à partir de la fin des années 60. Le symbole en restant le double-album enregistré par notre homme avec Canned Heat (Hooker'n'Heat, 1971).

John Lee Hooker - Dimples





John Lee Hooker, prof de blues et vengeur masqué

Un jour, le bluesman avec son nom à faire le trottoir s'est senti assez fort pour dévoiler sa recette. Lui-même aurait appris quelques trucs de deux types au temps où il était encore en Louisiane — son beau-père et le fiancé d'une de ses sœurs. Aucun d'eux n'est cité dans Teachin' the blues.

C'est le premier morceau de l'album That's Where It's At ! Sorti chez Stax en 1969 mais contenant des bandes de 1961. Well, hear the chord here, I wanna show you… commence le prof. Alors vous vous demandez d'où vient mon beat ?
Le tempo est lent, basique. Ça remonte à loin, dit-il. C'est l'année 1953. Je fais mes débuts. C'est encore le temps des big-bands. Et là mon petit gars, je vais te montrer comment avec un seul accord et un big beat, tu peux sonner comme un orchestre entier.

Now you're cookin'… Quelqu'un m'a montré ça quand j'avais treize ans : fiston, garde ce beat, t'as un truc là… En 1949 j'ai trouvé mon style… Et là on est en 1953, j'écris cette chanson, j'enseigne le blues à mon tour, garçon. Juste un beat et cet accord… laisse tomber les fantaisies. Huit ans se sont donc écoulés avant qu'il ne l'enregistre et huit autres encore pour que ça sorte.

Entre-temps, les fans de blues ont eu largement de quoi saisir ce qui faisait la singularité de John Lee Hooker. Le même album recèle de sacrées bombes. "Ijust don't know". Un des trucs les plus menaçants jamais chantés par ce monsieur à qui on n'irait pas taper spontanément sur l'épaule pour lui payer une bière. C'est la même histoire que "Hey, Joe" : le narrateur planqué derrière sa fenêtre a vu sa chérie, walkin' down the street with another man. La pendule indique quatre heures du matin. Ça va barder. Le mec est à bout. I didn't know… I just don't know… what I'm gonna do witchyoo… Deux guitares. La rythmique répète un bourdon obsédant. La lead s'arrache des notes à se faire mal. La voix enfiévrée. Tout le morceau se ronge les sangs. Parions que Hendrix a entendu ça.

John Lee Hooker - Teachin' The Blues

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