Au festival Banlieues bleues, la chanteuse propose une exploration du répertoire traditionnel d’Haïti, galvanisé par l’occupation américaine de 1915 à 1934.
Katia Touré Libération le 13 mars 2017
Brandir sa créolité sans détour est un acte de résistance dans un monde où les extrêmes droites s’installent, clame Mélissa Laveaux. Ce credo est au cœur de son prochain disque, Radyo Siwèl, prévu pour l’automne. En guise de prélude à ce projet qui célèbre ses racines : un concert à Banlieues bleues sous forme de récit d’une époque rebelle et plutôt glorieuse de l’histoire culturelle d’Haïti. «Depuis 2011, je m’intéresse aux chansons traditionnelles haïtiennes qui ont marqué la période de l’occupation américaine de 1915 à 1934 et qui se sont inscrites dans le patrimoine musical du pays par la suite», détaille celle que l’on estampille, après ses deux premiers disques, comme artisane d’une musique folk langoureuse mâtinée de pop et d’influences caribéennes. «Ces chansons étaient de véritables traits d’humour dont le message subliminal était : "Rentrez chez vous, les Américains !"» La chanteuse évoque d’abord les Bann Grenn Siwèl, ces orchestres de rue, tout en cuivres et percussions, nés au début des années 20. Face à l’envahisseur, ils ont à cœur de porter haut les couleurs de leur folklore. «Ils jouaient des chansons populaires dans les bars, les fêtes de quartier, au cours de mariages, etc.». Leur répertoire est associé au merengue, une musique de carnaval notamment pétrie d’influences vaudou que la jeune femme revisitera de sa voix éraflée, guitare en main, en y injectant quelques salves d’afrobeat et de rock indé.Parmi les ambassadeurs du merengue haïtien, le pianiste Ludovic Lamothe, compositeur de Nibo, un hymne de libération éclos en 1934, année du départ des Américains. «Ghede Nibo serait un des seuls esprits du panthéon vaudou né en Haïti. Il serait mort jeune et violemment. Il est présenté comme un enfant ou adolescent à l’allure de dandy, et parfois même queer. La chanson de Lamothe en a fait un symbole de résistance.» Naturellement, la musicienne cite aussi Auguste de Pradines, dit Ti Kandjo, auteur de la plupart des chansons dénonciatrices des occupations françaises et américaines. L’une d’entre elles, Angelina O, est sans doute la plus célèbre. «On raconte qu’il s’adresse à l’épouse d’un général américain en l’invitant à retourner chez "ses parents", soit rentrer en Amérique.»
Mélissa Laveaux reprend égaement les œuvres du guitariste Frantz Casseus, des chanteuses Lumane Casimir et Emerante de Pradines, du saxophoniste Issa El Saieh et, surtout, de Martha Jean-Claude. «Elle était exilée à Cuba mais continuait à promouvoir la chanson haïtienne. Je l’écoutais beaucoup quand j’étais plus jeune et c’est un peu grâce à elle que je me suis intéressée à tout ce patrimoine.»
Le disque Radyo Siwèl sera publié chez No Format, label qui l’a prise sous son aile dès 2008, année de la sortie de son premier disque, Camphor & Copper. Deux ans après, la Canadienne décide de s’installer en France. «En fonction du succès de Radyo Siwèl, je réinvestirai une partie de mes profits dans un programme d’accompagnement pour les femmes qui évoluent sur la scène musicale haïtienne.»En Haïti, certaines lui ont fait part de leurs difficultés en studio, du machisme au harcèlement sexuel. «Et si on les formait comme ingénieures du son, qu’on leur proposait une bourse pour enregistrer leurs propres œuvres ?» C’est là que l’on découvre Mélissa Laveaux l’afroféministe. Une évidence, car n’est-elle pas «une femme racisée, queer et immigrée» ? Eclectique, elle travaille sur un drame musical où elle tisse les liens entre deux divinités vaudou : Mami Wata (Afrique de l’Ouest) et LaSirèn (Haïti). Celui-ci sera présenté en juin 2018 au théâtre Le Tarmac, à Paris.
Katia Touré Libération le 13 mars 2017
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