Le prodige du piano cubain rend un splendide hommage à Cuba, avec le CD Abuc. Fort attendu, il jouera en mars à la Cigale et dans toute la France.
Fara C. L'Humanité, le 6 janvier 2017
Roberto Fonseca a conquis la planète au cours des tournées aux côtés d’Ibrahim Ferrer. Il officiait au piano quand le fameux chanteur cubain donna, en 2005, quelques jours avant sa mort, son ultime concert à Jazz in Marciac. Le 6 août 2016, c’est au festival gersois que Roberto offre un rare cadeau : il présente son album Abuc en avant-première européenne et en exclusivité, « parce que je me sens comme chez moi à Marciac, confie-t-il. J’y ai présenté des projets qui, chaque fois, me tenaient à cœur. En France, je rencontre une solidarité envers Cuba, qui me touche ».
C’est un des plus riches, des plus ouverts, des plus beaux hommages qu’adresse le prodigieux pianiste à son pays, avec ce disque qu’il a composé presque en totalité. Le titre, qui se lit dans le sens usuel ou dans le sens inverse (comme pour « nez » et « zen »), est un anacycle du mot Cuba.
Un cha-cha-cha qui met le feu aux poudres
Une façon, pour Roberto Fonseca, de traduire les allers-retours qu’il effectue dans le temps, à travers les styles cubains revisités, anciens ou contemporains. Le vertigineux voyage nous transporte sans répit au gré de guajira, boléro, habanera... Le pianiste compositeur, arrangeur, et parfois chanteur, les prépare à la manière d’un grand chef : en préservant la saveur originelle, tout en s’autorisant des audaces éminement pertinentes et impertinentes.En témoigne le cha-cha- cha (dans Family), qui met le feu aux poudres. Le jeune quadragénaire havanais y échange ses 88 touches noires et blanches contre un orgue Hammond, et invite deux chanteurs de l’Orquesta Aragón, tandis que trois instrumentistes à vent de La Nouvelle-Orléans soufflent sur les braises. « J’ai baptisé ce morceau ainsi pour exprimer mon désir de le dédier à ma famille, ainsi qu’à la famille des musiciens et, plus généralement, à la grande famille que formerait l’humanité si elle relevait l’exaltant défi de la paix », explique-t-il. Dans l’inclassable Soul Guardians, il convie le rappeur Alexey, du tandem cubain Obsesión (admiré du rappeur et activiste américain Mos Def). « Ici, j’ai voulu dire combien la musique, gardienne de nos âmes, peut sauver le monde, poursuit-il. Elle est capable de tisser des ponts entre les gens, entre les cultures, entre les peuples. C’est ce que m’ont enseigné ma mère, danseuse et chanteuse, et mon père, batteur et électricien. Je leur en suis infiniment reconnaissant. C’est pourquoi j’ai tenu à ce que ma mère chante sur un titre d’“Abuc” ».
Le magistral sonero, Eliades Ochoa, 70 ans, compagnon de route de Compay Segundo et du Buena Vista Social Club, délivre son jeu de guitare unique et sa voix ravinée dans Tumbao de la Unidad, superbe hymne à l’unité. Cette dernière s’incarne notamment à travers la subtile alliance de la guitare acoustique et de sa frangine électrique, des percussions brésiliennes de Zé Luis Nascimento et des fûts du Cubain Ramsés Rodríguez, surnommé Dynamite.
L’album se termine sur un piano solo ébouriffant
Abuc est un périple défiant les frontières, de La Nouvelle-Orléans à Bahia, en passant par l’Afrique yoruba, revenant immanquablement à Cuba. Il démarre avec Cubano Chant, ses cuivres ardents, le chatoyant solo de Trombone Shorty, la vivacité rythmique du piano sous les doigts de Roberto Fonseca. Et il se conclut sur le même thème (qu’écrivit le jazzman américain Ray Bryant en dédicace à la culture cubaine), mais, cette fois, dans la nudité d’un piano solo, absolument ébouriffant.Roberto Fonseca - Afro Mambo
Fara C. , L'Humanité du 6 janvier 2017
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