Une semaine après sa venue au festival Alors chante!, Hubert-Félix Thiéfaine clôturera la la deuxième édition du festival ODP à Talence (33). L'occasion de parler avec ce marathonien de la scène qui vient de sortir le live de sa tournée.
Son 17e album " Stratégie de l’inespoir " en est à 200 000 ventes. Comme les autres. Il a été salué d’un deuxième Grand Prix de l’Académie Charles-Cros, après une Victoire de la musique en 2012.
Malgré la reconnaissance honteusement tardive de ses pairs et des médias, Hubert-Félix Thiéfaine, 67 ans, reste en marge, entre agacement et souriante complaisance. Dans la foulée de la sortie de son album live, il est l’une des têtes d’affiche du deuxième et luxuriant festival ODP au profit des orphelins des sapeurs-pompiers.
" Vixi Tour XVII" est le dernier d’une longue série d’enregistrements live. Pourquoi ?
J’ai fait mes deux premiers albums en cinq et sept jours pour quelques milliers de francs, j’étais très complexé par le son. Dès qu’on a eu les moyens d’améliorer ça, à partir de " Dernières balises avant mutation ", on a eu à cœur de réenregistrer ces premiers titres en public. L’habitude est restée.
Une tournée préférée ?
J’aime vraiment celle-là. L’ambiance est déterminante pour apporter quelque chose de festif au public. J’aime travailler dans l’enthousiasme, l’osmose et le respect de chacun. Du chauffeur au musicien en passant par la production, tout est important. J’ai d’ailleurs toujours demandé à ce que l’équipe ne comporte aucun psychotique. C’est le minimum…
Le choix des chansons ?
On se fait aider. L’équilibre des chansons ici me plaît beaucoup. Du texte comme j’aime et des musiques qui ont du relief, du rock à la ballade : des petits chocs pour que le public ne s’endorme pas. Je n’aime pas ce qui est gratuit.
Revisiter les standards n’est-il pas lassant ?
Je chante toujours " Les dingues et les paumés " avec un immense plaisir. C’est l’un des trois meilleurs titres que j’ai faits et j’aime toujours autant retrouver ce rapport texte-musique.
Quels sont les deux autres ?
" Confession d’un never been " et " Sentiments numériques revisités "
Votre fils a réalisé l’album studio avec vous. A-t-il aussi une influence sur le concert ?
Dans le band, il a amené là aussi ses 20 ans, sa fraîcheur. Il a d’abord appris beaucoup des musiciens qui roulent depuis des dizaines d’années. Il a une culture musicale très large pour son âge: toute ma discothèque dans la tête, mais aussi toute la sienne que je ne connais pas, des idées qui tombent tout le temps et un vrai sens rock’n roll.
Vous rejouez " Errer humanum est " inspiré du livre " Sur la route " de Kerouac et faites allusion à un plagiat quelques années plus tard…
J’ai écrit cette chanson en 1986, l’autre est sortie en 1989. Je ne veux pas tomber dans la paranoïa, mais certains pensent que lorsque l’on n’est pas médiatisé, tatoué par la télé, on est tombé dans le domaine public. Ce n’est pas la première fois. Sur celle-ci, je ne cite personne (1) quand j’y fais allusion, mais faire une mention aurait été élégant.
Une tournée d'une centaine de dates: une habitude aussi?
Oui. Si je ne compte que la voiture, on a déjà fait 130.000 km, rien qu'en France métropolitaine. On vient souvent dans l’ouest et j’habite dans le Jura alors c’est trois jours à chaque fois ! C’est un peu dur mais bon, c’est la crise : je suis obligé de partager mon hélicoptère avec une autre famille alors…
Le Grand prix Charles-Cros, ça vous fait plaisir?
Je l’ai eu il y a 20 ans pour « La tentation du bonheur » et cela m’avait fait vachement plaisir. Emu parce que c’était quelque chose à l’époque : beaucoup d’anglo-saxons l’avait eu, Hugues Aufray que j’adorais quand j’étais môme.
Avez-vous des souvenirs marquants de spectateur ?
Souvenirs de jeunesse : les Pink Floyd en 1969, époque Ummagouma. J’avais fait Wight et j’avais été époustouflé par Rory Gallagher avec Taste. Mais à 15 ans, j’avais aussi vu Antoine avec les Problems, un côté anglo-saxon : très chouette.
Plus ça va, plus j’aime le silence. Je me dirige vers des musiques nouvelles pour moi : le classique, le contemporain et un peu de jazz. Et j’en écoute très peu en fait. Cela plaît bien à mon phoniatre : pour chanter juste, les oreilles doivent être reposées. Sachant qu’un aspirateur pendant trois heures fatigue plus qu’un larsen.
Êtes-vous apaisé aujourd’hui ?
Physiquement, j’ai la patate. Faut dire que je fais gaffe. Psychologiquement, ce n’est pas possible d’être bien dans ce monde quand on est un petit peu idéaliste. Je vois le monde se dégénérer sans surprise : quand je voyais les mecs de ma génération à 20 ans, il était impossible de croire qu’ils allaient changer le monde. Ils l’ont bien salopé, j’en fais partie.
C’est la nature humaine ?
Oui. Les philosophes de l’Antiquité disaient déjà la même chose. Lisez Sénèque qui écrit au calme en entendant les rumeurs du stade où on joue à l’ancêtre du football. Dans les pages de Proust, vous remplacez les chevaux et les costumes d’époque par des voitures et des fringues à la mode et vous êtes aujourd’hui. L’armement a changé. Entre l’hoplite grec et le djihadiste, la seule différence est la tenue. Après une guerre, les hommes se calment. Là, on est dans « L’origine de la guerre » de Freud.
Connaissez-vous ce public incroyablement fidèle depuis 40 ans ?
Pas spécialement. Je préfère surtout qu’ils ne me connaissent pas. Les gens sont forcément déçus. J’aime beaucoup les artistes qui viennent des siècles précédents : ils sont tous morts et je ne les emmerde pas. Je préfère que les gens ne voient pas mes défauts, même si j’en ai très peu…
Recueilli par Yannick Delneste
(1) La chanson en question est " On the road again " de Bernard Lavilliers.
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