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vendredi 18 mars 2016

Astor Piazzolla, en plein dans le Mille (Le Monde)

 

Ancien menuisier, accompagnateur de Barbara et de Jean-Louis Trintignant , l’accordéoniste Daniel Mille célèbre le maître argentin au disque et à la scène


Il y a des signes qui ne trompent pas. Daniel Mille a la poignée de main chaleureuse et vivifiante quand il déboule dans ce café parisien où rendez-vous a été pris. Elle dit d’emblée le plaisir qu’il va prendre à raconter ses rencontres, ses éveils et puis l’éblouissant Cierra tus ojos, son disque consacré à la musique d’Astor Piazzolla (1921-1992), arrangé et réalisé sous la direction musicale exemplaire de Samuel Strouk. Accompagné du parfait quartet impliqué dans l’enregistrement (les violoncellistes Frédéric Deville, Paul Colomb, Grégoire Korniluk, et le contrebassiste Diego Imbert), il le présente sur la scène de L’Alhambra, à Paris, le 15 février, pour la soirée de clôture du festival Au fil des voix. Ce projet, créé et produit il y a juste deux ans au Train Théâtre de Portes-lès-Valence, dans la Drôme, non loin de son village, Saou, situé à 40 kilomètres de Valence, a longtemps trotté dans sa tête avant d’aboutir. Une bière vient d’arriver sur la table, il n’y touchera pas jusqu’à la fin de l’entretien. Trop de choses à dire... Il s’emballe, s’émeut, frissonne, en racontant. Pourquoi Piazzolla ?

« Quand j’étais apprenti menuisier [son premier métier, à Grenoble, où il est né en 1958], dès que j’ai eu trois francs six sous je me suis acheté un vinyle d’Astor Piazzolla. Ça a été un choc terrible.

Je l’ai écouté mille fois. » Quand il s’est remis à l’accordéon, l’instrument qu’il n’avait pas choisi mais que son père lui avait attribué d’office (avec la trompette), dans l’orchestre familial pour les bals, il s’est dit, déjà, qu’un jour, il ferait un disque sur Piazzolla, « parce que c’est tellement beau ».

Beau mais « colossal », une montagne, commente le musicien. Il va s’en apercevoir des années plus tard, quand il se lancera le défi qui le tient en émoi jusqu’à aujourd’hui lorsqu’il le joue sur scène : enregistrer un disque tout entier consacré au compositeur argentin et maestro du bandonéon Astor Piazzolla. « C’est Richard Galliano qui m’a redonné le goût de l’accordéon. Je l’avais entendu en concert avec Nougaro. J’avais 20 ans. » Un choc, encore.

Galliano incite Daniel Mille à venir à Paris, et le présentera à Pierre Barouh, qui lui fera enregistrer son premier album en 1993, sur son label Saravah. « Un jour, Richard me dit : “Après-de-main, tu commences au Zénith avec Barbara.” C’était pour Lily Passion, un spectacle avec Gérard Depardieu. Je devais jouer quatorze notes. Ça a duré six mois, à Paris, puis en tournée.»


« Intelligence musicale »


Toujours en contact avec celui qui lui a permis d’oser rêver, il lui a offert Cierra tus ojos. « Quand j’ai rencontré Daniel Mille à Tulle, lors de l’une de mes master class, nous déclare Richard Galliano, j’ai tout de suite remarqué son intelligence musicale, sa délicatesse, la beauté de sa sonorité. » Après Barbara, Daniel Mille accompagnera beaucoup de chanteurs tout en s’illustrant comme un des accordéonistes les plus soyeux du jazz. « J’ai découvert avec la chanson le plaisir des mots. J’étais passé à côté de cela.

Et puis, par hasard, j’ai rencontré Jean-Louis Trintignant, qui m’a demandé de l’accompagner dans un festival de poésie, où j’ai assuré des intermèdes musicaux. »

Depuis, ils ont fait trois créations ensemble. Mille s’est laissé enchanter par la poésie d’Aragon, de Desnos, de Vian, d’Apollinaire ou de Prévert, dite par Jean-Louis Trintignant. Le comédien nous a confié son admiration pour l’accordéoniste : « J’adore Daniel Mille. Depuis quinze ans, il est la musique de tous mes spectacles de poésie. On a rapidement trouvé la clef. Moi, j’essaie de ne pas “dire de la poésie” mais de la raconter comme une histoire. Et lui considère ma voix comme un de ses instruments de musique.

Musique et texte se mêlent sur scène tout naturellement, l’une influence l’autre, c’est magique.

Là, avec son album sur Piazzolla, je trouve qu’il a vraiment atteint une nouvelle dimension. »

Patrick Labesse le Monde du 16 février 2016

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