Ravi Coltane (Photo : D. Feingold/Blue Note) |
Ravi Coltrane, le fils de John Coltrane, saxophoniste lui-même, se produit en France à partir du 5 novembre. Rencontre à l’issue d’un concert à New York au mythique Village Vanguard.
New York (États-Unis), envoyé spécial. C’est au mythique club de jazz de New York le Village Vanguard (qui fête cette année ses 80 ans, créé en 1935 !) que nous avons rencontré Ravi Coltrane, à l’issue d’une semaine de sets. Dans cette même salle, son père, John Coltrane, a joué et enregistré des concerts qui restent dans les annales du jazz.
Pas facile de sortir de l’ombre de ce musicien génial. Et pourtant, Ravi y est parvenu avec le même instrument, le saxophone, en préférant aux orages de son de subtiles lignes mélodiques.
En 2015, est-ce que le jazz a la même place, la même importance dans la société qu’il pouvait avoir il y a quarante ou cinquante ans ? Qu’est-ce qui est différent ?
Ravi Coltrane C’est difficile à dire. Quand j’ai commencé à jouer du jazz, c’était les années 1980. Les jeunes musiciens d’aujourd’hui ont commencé en 2010 ! Bien sûr, la signification est différente pour chaque génération. Notamment pour les plus anciens, que vous voyez sur ces murs (il montre les photos accrochées sur les murs du Village Vanguard – NDLR), c’est-à-dire les pionniers du modern jazz des années 1930 aux années 1960 et qui s’est étendu d’une certaine manière jusqu’aux années 1970. Moi, j’ai commencé plus tard mais il y avait encore dans la musique le reflet du temps passé. Mais peu à peu ce style a investi les universités. Une sorte d’académisme s’est installé, qui est devenu vraiment puissant. C’est ce qui a influencé les jeunes musiciens. D’un côté, on peut dire que c’est bien de voir la musique se perpétuer à travers l’éducation. Mais dans le même temps, ça peut être dangereux. Parce que quand tout le monde reçoit le même enseignement, apprend les mêmes choses, a accès aux mêmes matériaux, et que ça se passe mondialement, il y a le danger de perdre son identité. Chaque ville des États-Unis a un son spécifique. Les musiciens de Chicago, par exemple, ne jouent pas comme ceux de Kansas City ou de New York. À l’époque, il y avait une véritable identité dans la façon de jouer des musiciens. Pour moi, tout cela s’est perdu. La musique est disséminée dans toutes les parties de monde. Ce qui amène des charges différentes. Cela limite les possibilités pour les jeunes musiciens de pouvoir apporter quelque chose à cette musique, quelque chose que nous n’avons pas entendu auparavant. La possibilité encore, mais c’est beaucoup plus difficile pour cette génération.
Est-ce que cela signifie que le jazz ne joue pas le même rôle dans la société qu’auparavant ? Il est moins révolutionnaire, d’une certaine manière ?
Ravi Coltrane Tout dépend évidemment de ce que l’on appelle « révolutionnaire », de ce qu’est une musique révolutionnaire. La musique possède cette flexibilité qui lui a permis de toujours changer ces dernières décennies, de s’étendre et, heureusement, de se transformer en quelque chose de nouveau, d’unique. Même pendant les années 1960, on peut dire que c’était une musique underground. Ce n’était pas la musique américaine la plus populaire, elle n’était pas acceptée universellement. Les choses sont vraiment différentes maintenant. Mais ça n’empêchera pas de grandir en tant que musicien et d’ajouter quelque chose de nouveau à l’histoire de cette musique.
Qu’est-ce que le jazz a à voir avec une musique comme le rap pour la jeune génération qui exprime ainsi sa colère, par exemple par rapport à la violence policière ? Est-ce que le jazz reste un vecteur de cette expression ?
Ravi Coltrane Certaines musiques proviennent des rythmes africains ou latinos et influent évidemment les unes sur les autres. Je pense que notre musique, le jazz, est liée aux autres formes populaires de musique. Cela a toujours été le cas. Le jazz a toujours été lié aux changements sociaux. Dans les sixties, John Coltrane utilisait ainsi sa voix musicale pour exprimer sa frustration par rapport aux droits civiques. C’est ce que ces gars ont toujours fait. Le jazz est toujours là. Comme le Village Vanguard.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR PIERRE BARBANCEY L'HUMANITÉ MARDI, 3 NOVEMBRE, 2015
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