Pages

lundi 8 février 2016

Enrico Rava accorde son bugle au ciel sans nuages de Marciac (Le Monde)

Dans le bungalow de Météo France, installé à demeure derrière le chapiteau, Denis Capdegelle termine sa dernière année et transmet sa science à haut risque – entre Jupiter et Madame Soleil – à son successeur, Guy Mollé. Témoin du passage, Marc, stagiaire, élève ingénieur (météo). Partout des écrans, des images, des cartes. Plusieurs fois par jour, visite anxieuse du président fondateur de Jazz in Marciac, omniprésent, ancien principal du collège, maire du village. Le 7 août, monsieur le maire, Jean-Louis Guilhaumon, célèbre le mariage de deux bénévoles qui se sont rencontrés « sur » le festival.

Pas de gros orage en vue dans la 38e édition du plus populaire des festivals, et celui qui a le plus de raison de durer. Pourquoi ? Parce qu’au chapiteau de 6 000 places s’ajoute une précieuse salle à l’acoustique de violoncelle, l’Astrada, plus la place du village (1 350 corps), les guinguettes et les bars, bref, partout où l’on peut jouer.

Ce soir 6 août, tout va bien à bord. Ciel d’altocumulus bordés de rose et d’orange sous les feux du couchant (on dirait de la poésie). Dans le chapiteau en délire, l’Afrique toute : Dhafer Youssef, nouveau prince du Maghreb (oud et chant), suivi des Ambassadeurs : Salif Keita, Ousmane Kouyaté, Cheick Tidiane et toute une troupe emballante qu’on entend, sono aidant, jusqu’à Rabastens.

Transmission et proximité

A Marciac, trop, ce n’est pas assez. Dans l’écrin de l’Astrada, le vétéran aux airs juvéniles, Enrico Rava (Trieste, 1939) se présente avec son « New Quartet ». Le style de Rava, c’est comme la météo et le jazz : transmission, proximité, renouvellement. Depuis une trentaine d’années, après ses saisons en Argentine (avec Gato Barbieri) et sa décennie à New York, Enrico Rava a le chic pour dénicher des générations de poussins transalpins très doués, dont il fait parfois des stars.

Couvée en cours : Francesco Diodati (guitare, Sylvain Luc mâtiné d’Hendrix), Gabriele Evangelista (bassiste digne de son patronyme ; Rava devrait lui donner des conseils en matière vestimentaire) et Enrico Morello (drums).

Rava, c’est typiquement la « jazz attitude » avec un air follement latin. Depuis ses 18 ans – il découvre Miles Davis à Turin –, il n’en démord pas. Sa musique est un style. Ses jeunes disciples surjouent parfois comme des footballeurs italiens. Normal. Pour qui a tâté du jazz, java, Afrique ou classique, c’est une évidence : jouer avec un « maestro » donne des ailes. Le risque, c’est que les ailes partent quand s’en va le « maestro ».

Six compositions de Rava jouées comme on joue à la marelle. Grande leçon du dernier Miles, dont The Theme sera pris au rappel. Le trompettiste ne pratique ce soir que le bugle, dont il tire un son éclatant, lisible, bleu ciel, sans rien de ces brumes que l’on prête à l’instrument. Mélange au cordeau de free, de mélodies, de déchaînements et rencarts millimétrés.

Marciac a vu défiler trente-huit saisons de légendes et de promesses. Pour qui n’aurait qu’une idée confuse du jazz, pour qui n’aurait jamais vu, puisqu’ils ne sont jamais venus ici – mettons : Louis Armstrong, Lee Morgan, Chet Baker et Miles Davis –, le New Quartet est ce qu’il faut. Il raconte une histoire, des histoires, des sons, récite des poèmes musicaux. Les jeunes ont l’air de tout savoir et Rava en sort rajeuni. Magie de Marciac.



Francis Marmande, LE MONDE Le 07.08.2015 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire