Dimanche 27 septembre, Youssou N’Dour chante au Cirque d’hiver : sur la piste circulaire, il est tout près, à portée de main, et, d’ailleurs, un fan, blouson de cuir noir et lunettes fashion, franchit le parapet pour le serrer dans ses bras, tandis qu’il danse. On ne sait si le jeune homme s’est identifié à l’élégante star dakaroise ou s’il le remercie d’être ainsi, à Paris, droit, poing levé, enveloppé d’un magnifique boubou de bazin violet.
L’enfant de la Médina, à Dakar, chante New Africa, hymne à l’Afrique positive, débarrassée de sa face sombre, « Ebola, corruption et misère », dit-il. S’y égrainent les noms des héros du Continent noir, de ceux qui en ont bâti la modernité, l’historien Cheikh Anta Diop, le Ghanéen leader des indépendances Kwame Nkrumah, le militant sud-africain assassiné par l’apartheid, Steve Biko, et, bien entendu, Nelson Mandela, applaudi au plus fort. New Africa avait été enregistrée en 1992 pour l’album Eyes Open, paru sur le label 40 Acres & A Mule, alors tout juste créé par le cinéaste afro-américain Spike Lee.
La sécurité expulse l’affectueux jeune homme, car le chanteur est aussi « ministre du peuple », conseiller spécial du président de la République, Macky Sall, et chargé de promouvoir le Sénégal à l’extérieur du pays. Invité par le Festival d’Ile-de-France, le chanteur politique arrive en force, un batteur, quatre percussionnistes, des tambours, deux claviers, deux guitares, une basse, un saxophone, un danseur dans un tourbillon de rouge, des choristes : voici le Super Etoile, son orchestre !
Enorme énergie déployée
Il y a, dans cette salle métissée – au contraire du « Grand Bal » annuel de Youssou N’Dour à Bercy, qui est à 90 % composé de Sénégalais –, une énorme énergie déployée et un grand appétit à ne pas éliminer les cultures nègres de la carte mondiale. D’autant qu’elles sont, précise le chanteur, parti prenante de « la grande France », au sens de la géopolitique de la migration. Et, pour résumer le parcours « de la précarité et de l’eldorado », Youssou N’Dour propose un pot-pourri, un voyage entre Dem (« partir »), Immigrés (1987), un classique de son répertoire, et Solidarité, des hymnes fédérateurs de la diaspora.Mais la tournée d’Amnesty International effectuée en 1988 par un Youssou N’Dour qui n’avait pas 30 ans, en compagnie de Bruce Springsteen, Sting, Peter Gabriel, Tracy Chapman, puis les « yeux ouverts » de Spike Lee n’ont pas évité les naufrages en Méditerranée.
Tube planétaire
Youssou N’Dour, 56 ans le 1er octobre, est aimé au pays pour être un as du mbalax, ce rythme wolof si complexe, où le déhanchement occidental trouve vite ses limites. Il est connu des néophytes pour un tube planétaire interprété naguère avec Neneh Cherry, aujourd’hui avec sa choriste : 7 Seconds. Une histoire d’amour. Mis bout à bout, ces styles panachés peuvent faire brouillon. Mais le Dakarois noue et dénoue l’intrigue grâce à une voix qu’il a gardée intacte, avec ce timbre haut hérité de sa grand-mère chanteuse.Il a invité un confrère appartenant, comme cette dernière, à la caste des griots mandingues, Djiby Dramé, un Soninké de 33 ans. Djiby Dramé a épousé une belle chanteuse malienne, Maman Chérie, et il a créé, à Dakar, « La Nuit du bazin », en défense de l’extrême élégance de ce tissu damassé. Il en offre un, superbe, à son mentor, après un duo de louanges mutuelles, chanté dans la plus pure tradition vocale et musicale mandingue. Youssou N’Dour rappelle qu’il faut soutenir les jeunes et que c’est Jacques Higelin, qui, en 1985, l’avait présenté au public français.
Véronique Mortaigne, LE MONDE Le 28.09.2015
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