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lundi 4 mai 2015

Francis Cabrel, la force tranquille (RFI)


Nouvel album, In extremis

Inutile de bousculer l'artiste aux dix-huit millions d'albums vendus, celui-ci va à son rythme. D'où ces sept ans de longue attente entre son précédent disque et cet In extremis traversé par le temps qui passe et dans lequel il se montre assez mordant avec les dirigeants politiques. C'est le même Cabrel qu'on retrouve dans l'enveloppe musicale, en différant dans ses angles d'attaque.


Qui résisterait à l'envie de lui poser la question : pourquoi tant de temps ? Il n'y a pas de calendrier chez Francis Cabrel. Par rapport à sa cadence habituelle - en l'occurrence un quinquennat de réflexion - le Gascon s'est accordé une période de deux années supplémentaires. Un accouchement plus douloureux qu'à l'accoutumée et entrecoupé de trois parenthèses régénératrices : une adaptation de chansons de Bob Dylan (Vise le ciel), une participation active à l'écriture du Soldat Rose 2 et une tournée solo d'une dizaine de dates aux États-Unis. Peut-être doit-on mettre aussi ce petit retard à l'allumage sur le compte de la pression.

Parce qu'il est compliqué de succéder à cette petite merveille qu'était Des roses et des orties, opus qui a par ailleurs reçu un tonitruant accueil commercial (plus de 800.000 albums écoulés). La barre est haute d'autant que la sortie d'In extremis ne survient pas dans un contexte de totale sérénité. La faute à une biographie non autorisée* qui ne donne pas une image particulièrement reluisante du chanteur, notamment sur le plan de la vie privée. Refusant d'abord de s'abaisser à commenter ces révélations, le barde le plus célèbre de l'Hexagone a finalement lancé une procédure judiciaire afin de retirer l'ouvrage de la vente.

Cabrel, c'est un cas d'espèce. Il faut une fois de plus louer son art immuable. Une constance qui finirait presque par irriter à la longue. Contrairement à d'autres chanteurs qui tentent de refouler ce qu'ils ont de plus désirable, l'Astaffortais se retranche derrière la même mécanique interne. De toute façon, faire du jeunisme, ce n'est pas dans ses gênes.

Son jeu de guitare continue de faire corps avec son interprétation délicate et son écriture ciselée. Une ligne mélodique sans surprise, mais toujours cette méticuleuse attention apportée aux équilibres instrumentaux. Tout à l'âme et à l'économie. Certains appelleraient ça un savoir-faire.

Francis Cabrel reprend l'histoire là où elle s'est arrêtée. On sait qu'avec trois accords, l'homme est capable de tubes. Là, ils ne sautent pas à l'oreille. Cette fois-ci, sur le fond, la veine est plus sombre et politique. Il suffit de se référer à Dur comme fer, titre d'ouverture dans lequel il charge les dirigeants incapables de tenir leurs promesses : "Il est soulevé par la grâce/Il dit qu'il va changer nos vies/ Sous les dorures des palaces/ On a juste peur qu'il oublie". Le dernier titre (Pas si bêtes) est dans la même lignée du constat alarmant ("Si le ciel doit se renverser/ Ce sera sur nos toitures percées").

Entre-temps, l'artiste renoue avec la chanson d'amour à travers l'angle du temps qui passe (à chaque amour que nous ferons, Partis pour rester), s'empare d'une bataille de 1415 pour pointer la folie des hommes (Azincourt), met en scène la crucifixion du Christ (Dans chaque cœur), rend hommage à l'illustre leader sud-africain (Mandela, pendant ce temps) et à la persévérance du chanteur quidam (La voix du crooner). Ce disque rappelle une nouvelle fois que dans son style, ses inspirations et son approche, Francis Cabrel est précieux comme un chant unique.

*Alain Wodrascka Cabrel, les chemins de traverse (Éditions de l'Archipel) 2015


Francis Cabrel In extremis (Smart/Sony Music) 2015


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