Une jeune génération s'est emparée de cet instrument pour proposer des albums aux styles variés.
Ils sont jeunes, ont grandi à l'écoute de multiples musiques, sont habitués à se produire aux quatre coins du monde et approchent leur instrument avec autant de passion que d'érudition: les pianistes de jazz ont la cote. Bon nombre d'entre eux sortent actuellement des albums qui reflètent l'éclectisme et la diversité des styles lorsque l'on aborde le piano. «Au piano, on a le sentiment d'être à la fois pianiste et chef d'orchestre, explique Jacky Terrasson. Chaque octave représente une section d'orchestre: en jouer, c'est comme diriger un big band.»
Le Franco-Américain vient de sortir un nouvel opus, Take This, qui mêle compositions originales et reprises de standards jazz, pop et chanson. Bud Powell, grand maître de l'instrument, y côtoie Lennon-McCartney, Miles Davis et Henri Salvador. Cet épicurien défend une approche ludique de la musique. «Je trouve qu'il existe en ce moment une tendance un peu trop intello du piano. C'est bien de jouer avec science, mais ça ne suffit pas.» L'approche de Terrasson, amateur de grands crus, s'incarne dans le partage et la jouissance plus que dans le narcissisme. «Certains pianistes passent leur temps à se regarder le nombril en jouant», ajoute-t-il. Cet enthousiaste préfère inciter son public à danser.
Après une longue collaboration avec Blue Note, le quadragénaire vient de signer avec Impulse!. «Le label de mes héros! C'est là que Keith Jarrett a enregistré ses meilleurs albums.» En sommeil depuis une vingtaine d'années, la marque a été réactivée par Jean-Philippe Allard, ce qui confirme la vivacité de la scène jazz en France. Même si, comme le souligne Terrasson, un musicien doit désormais donner de plus en plus de concerts afin de gagner sa vie. «J'ai passé les deux dernières années à tourner comme un taré.» Le 9 juin, il s'offrira son premier Olympia en tête d'affiche, avec pléthore d'invités. «Ma mère va être fière de voir mon nom écrit en rouge sur le fronton de la salle.»
«Échanges plus immédiats»
Thomas Enhco, 26 ans seulement, a quant à lui choisi la maison Verve, qui a abrité John Coltrane ou Ella Fitzgerald, et dont l'ouverture d'esprit sied bien à ce gourmand de musique. «C'est très excitant, d'autant que je vais aussi me consacrer à des projets classiques au sein d'Universal Music.» Né dans une famille d'artistes - il est le petit-fils du chef d'orchestre Jean-Claude Casadesus -, Thomas est tombé dans la musique quand il était petit. Il constate que le piano jazz bénéficie d'un coup de projecteur depuis deux ou trois ans. «Le piano a toujours été un instrument fascinant pour les musiciens et le public. En ce moment, il est particulièrement mis à l'honneur.» Le jeune homme est fier et ému de recevoir prochainement le piano de son ancêtre Robert Casadesus, cousin germain de son arrière-grand-mère, la comédienne Gisèle Casadesus. «Aujourd'hui, je suis le seul pianiste de la famille.»
Aux côtés de Jacky Terrasson, Yaron Herman et Tigran Hamasyan, Thomas Enhco incarne une approche nouvelle. «On s'inspire les uns et les autres», dit-il. Une saine émulation plutôt qu'une compétition féroce anime ces virtuoses. «Les échanges entre musiciens sont plus immédiats qu'autrefois, vu l'époque, et on voyage beaucoup plus aussi», explique ce disciple avoué de Keith Jarrett et Brad Mehldau. L'Américain, superstar depuis ses premiers disques il y a vingt ans, partagera le 10 avril la scène de la Philharmonie avec Tigran.
Ce prodige de 27 ans mâtine son jazz de sonorités issues du folklore arménien et s'est mis au chant. «Il y a des choses qu'on ne peut pas faire au piano, il faut les chanter. C'est devenu un aspect de ma musique, mais il y a des projets qui ne nécessitent que le piano», affirme-t-il. Américain d'origine indienne, Vijay Iyer illustre lui aussi cette relève. Après avoir longtemps hésité entre les mathématiques et la musique, il s'est lancé dans une carrière de pianiste. Son trio doit autant à Duke Ellington, James Brown qu'à Jimi Hendrix. Signé par le prestigieux label ECM, cet original vient de sortir Break Stuff, un impressionnant album, sur lequel il reprend Monk, Coltrane et Billy Strayhorn en rendant hommage à leur dimension de défricheurs.
Olivier Nuc (Le Figaro)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire