La star anglaise du blues-rock, une des dernières légendes de Woodstock, s'est éteinte hier à l'âge de 70 ans des suites d'un cancer du poumon dans son ranch du Colorado.
La voix éraillée, les mains mimant un jeu de guitare avec ses riffs endiablés du classique des BeatlesWith a Little Help from My Friends, ses cheveux longs et ses pattes qui descendent jusqu'au cou. Woodstock, 1969. Joe Cocker, 25 ans, enflamme le plus célèbre des festivals de rock en faisant hurler la chanson de Lennon et McCartney dans son tee-shirt sur lequel est inscrit «tie and dye». Entouré de Janis Joplin, Jimi Hendrix et Jefferson Airplane, le chanteur écrit la première page de son histoire en mélangeant blues, rock, une gestuelle et une présence scénique qui le placent directement dans le panthéon des showmen.
Il apparaît là, aux yeux du monde, vingt-cinq ans après sa naissance à Sheffield, sous le nom de John Robert Cocker. C'est là, au cœur de l'Angleterre ouvrière, qu'il connaît ses premiers frissons sur scène. Il n'a alors que 12 ans lorsque, pour la première fois, il se produit en public avec son frère. Parallèlement, il suit une formation de plombier. Dans les années 1960, il monte avec trois amis les Cavaliers, puis les Vance Arnold and the Avengers, clin d'œil à deux de ses idoles, Elvis Presley (il a confondu Vance et Vince, prénom d'Elvis dans Jailhouse Rock) et Eddy Arnold. Dans les pubs de Sheffield, il se fait la main sur ce qui va devenir la clé et le socle de toute sa carrière: les reprises.
À Woodstock, en 1969 |
Ses deux albums, With a Little Help from My Friendset Joe Cocker, le propulsent au sommet des ventes. Dans la foulée, sous la houlette du musicien et compositeur Leon Russell, il entame une tournée parmi les plus furieuses de toute l'histoire du rock, immortalisée dans le film Mad Dogs and Englishmen. Mais, alors que les idoles de Woodstock - Jimi Hendrix et Janis Joplin - disparaissent, Cocker sombre. Il flotte comme une impression dans le monde que le rock a vécu. Au milieu des années 1970 et en pleine émergence de Pink Floyd et Genesis, le chanteur ne trouve plus sa place. Il est déjà perdu dans les vapeurs d'alcool et les illusions de l'héroïne à laquelle il est devenu accro en tournée. Après You Are So Beautiful, coécrit avec Billy Preston en 1974, il traverse le désert, titubant sur les scènes où il se produit, ne finissant pas ses concerts.
Le cinéma va lui redonner sa chance. Loin du fringuant hippie de Woodstock, c'est en Cocker crooner qu'il retrouve le succès. Dans un duo avec la chanteuse Jennifer Warnes. Ensemble, ils chantent l'inoubliable Up Where We Belong, qui introduit dans la carrière du bluesman les synthés des années 1980. La chanson illustre le film Officier et Gentleman avec Richard Gere et elle vaut un oscar à ses compositeurs Buffy Sainte-Marie et Jack Nitzsche. En 1986, sa voix éraillée, son blues et sa reprise de Randy Newman illustrent l'une des scènes les plus suggestives de l'histoire du cinéma. C'est sur son You Can Leave Your Hat Onque Kim Basinger se déshabille lentement face à un Mickey Rourke hébété dans le 9 semaines 1/2 d'Adrian Lyne. En jouant des cassures rythmiques, la version de Cocker réinvente la sensualité du rock et devient plus célèbre que l'originale. Randy Newman lui-même rendait hommage à son interprétation complètement outrancière. Les mélomanes l'invitent dans leurs foyers et accueillent à bras ouverts ses nouvelles reprises, dont l'une des plus célèbres reste sa version lancinante de Unchained My Heart de son modèle de toujours, Ray Charles.
Cocker, avec sa figure ronde, sa barbe et ses chemises impeccables, apparaît régulièrement à la télévision et continue d'enchaîner les tournées. Plus rien n'entame sa popularité. Toute l'Angleterre l'érige en héros. La Reine Elizabeth le fait membre de l'Ordre de l'Empire britannique en 2012, ne lui en voulant pas d'avoir choisi pour résidence le Colorado. À Sheffield, sa ville natale, une plaque est dédiée au petit plombier devenu une des plus grandes figures du blues. Le sachant malade, Billy Joel a demandé cette année à ce que son ami soit intronisé au Rock and Roll Hall of Fame. Trop tard, puisqu'un cancer du poumon a emporté Cocker à l'âge de 70 ans dans son «Mag Dog Ranch», à Crawford dans le Colorado où il vivait seul avec son épouse, Pam, son plus grand regret étant de ne pas avoir eu d'enfants. Une disparition qui intervient après un dernier album (Fire Up en 2012) et une tournée. «Le sommet de sa carrière», selon son agent. En lui rendant hommage, ce dernier a salué l'artiste, qui jouait encore sur scène en juin dernier comme «le plus grand chanteur de rock-soul jamais produit par le Royaume-Uni». L'une des dernières légendes de Woodstock a tiré sa révérence.
Pauline Le Gall Le Figaro.fr le 23.12.2014
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