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lundi 13 octobre 2014

Le contrebassiste Riccardo Del Fra rend hommage à Chet Baker (Le Monde)

Riccardo Del Fra
Riccardo Del Fra

Rémi Fox (sax alto), Ariel Tessier (drums), Virxilio Da Silva (guitare), plus ceux qui figurent déjà sur le superbe album hommage de Riccardo Del Fra, My Chet My Song (Cristal, Harmonia Mundi), Airelle Besson (trompette, dans le rôle, en scène) et Bruno Ruder (piano). Sept musiciens sur la scène du Sunside, réunis pendant trois soirs, les 3, 4 et 5 octobre (rue des Lombards, à Paris 1er) par leur Maître, Riccardo Del Fra.

 Deux sets d’émotion et d’exactitude : l’éthique de Riccardo, un traitement faussement réglo des harmonies, des jeux subtils d’écriture, beaucoup d’espace aux improvisateurs, une certaine élégance, mais surtout, sans rien d’engoncé, une certaine conception de la dignité et de la loyauté.


Improvisatrice impeccable, Airelle Besson – nous reviendrons sur son album Prelude avec le guitariste Nelson Veras –, a dans le registre médium de la trompette, le moelleux, le velouté du bugle. On peut se tromper : « Non, j’ai beaucoup joué le bugle, on me l’a volé, parfois, je tourne autour du son, c’est vrai. »

LÉGITIMITÉ DE L’HISTOIRE

Riccardo Del Fra n’est pas le premier à rendre hommage à Chet Baker, mais tout le monde n’a pas la pertinence de l’art et de l’esprit (analogue à celle d’Eric Le Lann, trompettiste qui fréquenta Chet) ou la légitimité de l’histoire : pendant une dizaine d’années, Riccardo a tourné avec Chet Baker. Ce qui signifie, partage, patiences, répétitions, répertoire, aléas, hôtels, route (Chet pilotait comme un dieu), vie, nuit, pratique de la musique.

On fait à bon compte de Chet, le parangon du héros « romantique », à la mode des photographes de mode. Sa belle gueule s’y prêtait, les musiciens entre eux parlent de la musique : de son perfectionnisme, de son niveau d’exigence et ce son, « Mais où est ce son de trompette qu’aucun enregistrement, même le plus merveilleux ne peut reproduire ? »


Accompagner Chet Baker, c’est évidemment le servir, l’approcher, coller à sa musique, mais c’est surtout avoir ce son, son juste son, ce son entier que n’entendent jamais les autres, si, dans les tout petits clubs, au creux de l’oreille.

« NICE AND EASY ! »


Jouer avec Chet, c’est aussi être capable de supporter la seule indication que l’archange de la trompette donnait à ses partenaires avant d’attaquer un morceau, le plus complexe, parfois, le plus acrobatique – on ne parle pas de performances, mais d’harmonies, d’accords, de phrasé –, le seul sésame : « Nice and easy ! » Intraduisible ! : « Joli et facile ? » Trop bêtasson. « Classe et cool » ? Très ambigu. « Nice and easy ! », c’est tout. Ou alors : et maintenant, tel thème, il disait le titre, dans la tonalité d’origine. Un grand frisson glacial parcourait alors le quartet, personne ne savait quelle était la tonalité d’origine. Après quoi, il fallait foncer et assurer, comme si l’on avait toujours su. Le jazz, c’est ça et Chet, c’était ça.


L’HOMME D’À CÔTÉ


Parce que le beau gosse (dieu qu’il l’était !) jouait terrible, toute la question est là. Il jouait chaque note, chaque inflexion, chaque attaque, chaque phrase, chaque silence, comme on taille un diamant. Le sage montre la lune ? Les photographes de mode font le point sur la mèche rebelle. Riccardo ne s’en tient pas à son rôle de side man (Kenny Wheeler, Dizzy Gillespie, Lee Konitz…). Très joli, ce terme d’homme d’à côté, pour désigner le partenaire, l’accompagnateur. On le dit pour l’excellent Olivier Monod, lecteur attentif qui ne manque pas de regretter, souvent à juste titre, l’excès de mots anglais (« tentet ») dans ces chroniques. side man n’a pas son équivalent. Question d’espace, de position, de justesse et d’oreille.

Riccardo Del Fra compose, dirige le Département « Jazz et Musiques improvisées du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (Paris), il écrit pour le cinéma (Lucas Belvaux) et participe à l’un des plus beaux films sur le jazz, toutes catégories confondues, un des plus beaux films tout court, Chet’s Romance, de Bertrand Fèvre (avec Alain Jean-Marie au piano).

Sous pochette empruntée à Nicolas De Staël, il aligne les chansons les plus connues de Chet, de I’m a Fool to want You à My Funny Valentine en passant par But not for Me. Et une de ses compositions, Wind on and Open Book.




Dans l’album, Pierrick Pedron est à l’alto et Billy Hart aux drums. Un poème de Riccardo Del Fra, Ombre e luci/Chet en noir et blanc, indique, avec autant de sensibilité que de justesse, le sens de la musique. My Chet, My Song :

Du plein soleil au contre-jour.

Angelo affascinante ou povero diavolo ?

Le prix à payer pour ta liberté insolente qui les empêchera de te capturer ou de t’apprivoiser.

(…)

Image, aide ma mémoire !

Bien-aimé de la Muse.

Aimé et mal-aimé, anti-modèle d’un monde qui va là où il va.

La lumière continue son tracé, malgré les ombres.

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1 CD Cristal Records/Harmonia Mundi. 16 euros. « My Chet My Song », Airelle Besson, trompette, Bruno Ruder, piano – Pierrick Pedron, sax – Billy Hart, batterie – Riccardo Del Fra contrebasse, compositions et arrangements.


    Francis Marmande (Le Monde)

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