Ambassadeur des couleurs et des rythmes… Défenseur du peuple, des libertés et des cultures… Homme de paroles, de poésie et de maux… Insaisissable voyageur et inlassable baroudeur… Bernard Lavilliers fait « raisonner » la chanson française en écho à ce qu’elle a toujours représenté pour lui : le langage de l’âme et du cœur. Dans un mélange des genres dont ce citoyen du Monde s’est fait le spécialiste, Lavilliers nous montre que la chanson engagée a encore un sens dans un siècle qui cherche le sien…
« Je voulais un album qui ait du souffle », dit Bernard Lavilliers. Le vingtième album de sa carrière a mieux que du souffle : une ampleur, une vision, une densité singulière. Après le tumulte et les plaisirs de « Carnet de bord », de « Samedi soir à Beyrouth » puis de « Causes perdues et musiques tropicales », Lavilliers explore des sentiments, des réalités, des souvenirs qui exigent autant de douceur que d’audace, autant de liberté que d’enracinement.
Cette tournée accompagne votre nouvel album « Baron Samedi » qui est très particulier puisqu’au-delà des nouveaux titres, vous avez mis aussi en musique la prose du « Transsibérien et de la petite Jehanne de France ». C’est un projet qui vous tenait à cœur depuis longtemps ?
Oui absolument ! Comme je dis :« Depuis le temps que j’attendais ça »… En fait, je crois que ça remonte à l’époque où je suis officiellement devenu chanteur…! J’avais très envie de mettre ce poème de Blaise Cendrars en musique, il m’a fallu du temps mais ça y est… je l’ai fait ! Du coup, « Baron Samedi » est un double album avec, d’un côté cette adaptation musicale de 27 minutes, et de l’autre, 10 nouvelles chansons. Les gens écouteront… ou pas, mais si ça peut permettre à certains de découvrir ce formidable auteur, j’en serai ravi !
La poésie, c’est toute votre jeunesse, et d’une certaine façon votre éducation ?
Exactement ! Ma mère était institutrice et c’est elle qui m’a enseigné la poésie en même temps que la lecture. Elle me lisait du Prévert, du Baudelaire…. Je ne comprenais pas tout mais j’aimais ça quand même (rires) !
Parlons de ce 20ème album ! Pourquoi avoir choisi ce nom si particulier de « Baron Samedi » ?
Baron Samedi est en quelque sorte le gardien vaudou du cimetière d’Haïti. Dans les croyances haïtiennes, ils imaginent qu’ils ne peuvent pas dormir, même morts, sans la permission de Baron Samedi. Il faut donc qu’ils s’entendent avec lui sinon ils ne peuvent pas gagner le repos et aller dans l’au-delà, Disons que Baron Samedi, c’est à la fois l’homme de la mort et l’homme de la réincarnation. Donc ce n’est pas vraiment un mauvais esprit. C’est juste quelqu’un d’un peu exigeant… !
C’est en allant à Haïti, rencontrer vos amis artistes que vous est venue l’inspiration de ce titre et l’envie d’écrire?
Le tremblement de terre a broyé la ville et une partie de l’île en 30 secondes… 300 000 morts ! Je savais que c’était les failles sismiques qui en étaient la cause mais face à un tel drame, il plane toujours quelque chose de très mystérieux, d’incompréhensible… On pouvait aussi imaginer que c’était Baron Samedi qui avait fait ça. C’est pour ça que j’ai écrit ce titre.
La critique considère que Baron Samedi est l’un de vos meilleurs albums… C’est aussi votre sentiment ?
Si c’est eux qui le disent…!! (rires). Moi, quand j’écris un album, j’oublie tous les autres mais et je n’ai surtout pas envie de me répéter, ni musicalement, ni au niveau des thèmes. Alors est-ce que c’est mon meilleur album ?… Je n’en sais rien ! Les albums c’est comme les enfants, vous ne pouvez pas en préférer un… Mais bon, je pense que c’est un bon album et que je n’escroque pas les gens qui l’achètent !! (rires)
Un album qui est fidèle à vous-même ?
De toute façon, je ne sais pas retourner ma veste !!
Justement… vous avez toujours été un chanteur engagé… Vous vous dites toujours du côté du « peuple ». Pensez-vous que, plus que jamais, ce « peuple » a besoin d’hommes comme vous ?
Le peuple est complètement en désarroi ! On le saigne chaque jour un peu plus tout en lui promettant que demain ça ira mieux et qu’il aura du travail… Mais pour l’instant, ça ne marche pas comme ça ! Les usines ferment les unes après les autres et celles qui résistent laissent peu d’espoir. J’ai connu le monde du travail à l’âge de 16 ans et, à cette époque, il n’y avait pas de chômeurs… Aujourd’hui, on est victime d’un chantage absolument sordide. Quelqu’un qui travaille doit avoir un salaire, un toit sur la tête et ne devrait pas se retrouver devant la porte des Restos du Cœur…
Vous parlez des ouvriers… Mais l’avenir des artistes vous inquiète-t-il tout autant ?
Par nature, un artiste prend tous les risques… de ne pas être connu, de ne pas y arriver, d’avoir des traversées du désert comme on en a tous connues… Mais ça fait partie du jeu. Il est évident que l’industrie du disque est en plein bouleversement. C’est fini les 3 millions d’albums vendus… Maintenant, les gens vont sur Internet et choisissent 1 titre qu’ils payent 1 euro ! Alors on pourrait penser que ce n’est plus la peine de faire des albums, mais moi je pense le contraire, ne serait-ce que pour ceux qui l’achètent pour l’objet, la passion, l’attachement… pour les esthètes en réalité !! (rires). Et puis, pour faire un nouveau spectacle, il faut bien avoir de nouvelles chansons. Même si ça fait toujours plaisir de sortir les anciennes, vous ne pouvez quand même pas chanter toujours la même chose pendant 20 piges !! Oui, on est en pleine mutation, on va voir comment ça se passe… mais moi ça ne m’inquiète pas beaucoup.
Cette sorte de sérénité est-elle le privilège de l’âge ? Vous avez 67 ans et même s’il n’est pas question pour vous d’arrêter, on peut dire que votre carrière est maintenant derrière et qu’aujourd’hui, vous en récoltez les fruits. Mais ça n’a pas été toujours si simple ?
Non effectivement, ça n’a pas été si simple… mais rien n’est jamais simple. Je peux dire quand même que j’ai bien gagné ma vie mais je ne suis pas obsédé par l’argent. Tant qu’on ne crève pas la dalle, ça va ! Globalement, je pense avoir fait tout ce chemin surtout par passion. Je ne suis pas un commerçant. Les maisons de disques ne voient plus les artistes que par le taux de rentabilité qu’ils peuvent leur garantir… Les artistes ne sont pas des colonnes de chiffres… et jusqu’à preuve du contraire, il faut de bons artistes pour écrire de bonnes chansons. Les ordinateurs ne peuvent pas les remplacer… ça va peut-être arriver mais ce n’est pas encore le cas !
Pour vos magnifiques chansons, vous êtes allé chercher vos inspirations à travers le monde. Vous êtes un grand bourlingueur. Vous n’avez jamais eu envie de vous poser ?
Non ! Non ! Ça ne m’intéresse pas du tout de rester dans un coin à tourner en rond. Je suis un curieux, un mec qui cherche… Mais quand je voyage, ce n’est pas pour aller voir des palmiers ou des éléphants… c’est pour rencontrer des êtres humains qui n’ont rien à voir avec ma culture, avec ma langue, qui ne pensent pas les mêmes choses et qui n’écoutent pas la même musique… Ça m’enrichit beaucoup et je considère qu’à partir du moment où l’on voyage, on ne peut pas être raciste. Entre parenthèse, on peut dire que chez vous, dans le Sud, cette montée du FN est plutôt inquiétante…!
Et vous pensez qu’avec vos chansons, vous pouvez influencer les choses ?
Il faut du temps…beaucoup de temps. Ça ne se fait pas comme ça, en claquant des doigts ou en chantant quelques refrains. Mais il ne faut jamais oublier que dans certains régimes autoritaires, une chanson peut vous faire mourir ! Je suis persuadé qu’il y a des gens qui vont voter Marine Le Pen aux Européennes et qui viendront me voir au Zénith de Toulon parce qu’ils aiment mes chansons… Ça peut paraître incompatible mais c’est pourtant une réalité. En fait, rien n’est simple mais c’est aussi ce qui fait l’intérêt de la Vie !
Propos recueillis par Christine Manganaro
Crédit photos ®Thomas Dorn
INFOS PRATIQUES :
Samedi 7 juin 2014 à 20H30 – Zénith (Toulon) – De 42 à 50€ – Infos et résa : Points de vente habituels ou www.zenith-omega-toulon.com
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