Image tirée de la pochette de l'album «III» (1970).Image tirée de la pochette de l'album «III» (1970). (Image DR) |
Oublions les «Whole Lotta Love» et autre «Stairway to Heaven»: voici une sélection de (vieilles) chansons moins exposées, à l'occasion de la réédition, ce lundi, des trois premiers albums du groupe britannique.
Les trois premiers albums du groupe de rock britannique, qui ressortent cette semaine, planquent chacun des morceaux peu connus qui regorgent pourtant d’ambitions plus ou moins abouties, de folie à la batterie ou de motifs de guitare bizarres. Petite sélection maison.
«Black Mountain Side», sur «I» (1968):
Lors d’un show télé britannique, en 1970, Page seul avec son poncho:
Enregistrée en octobre 1968, planquée après You’re Time is Gonna Come, à laquelle elle est fondue, Black Mountain Side est un instrumental de folk-blues sombre tout ce qu’il y a de spécial: comme une phrase sans verbe, son open-tuning en ré n’a pas de tierce (ré, la, ré, sol, la, ré - il n’aurait d’ailleurs pas non plus eu de tierce en la ou en sol) [on comprend rien, ndlc]. Le chiffrage des mesures varie également, et les tablas apportent à la guitare de Page un pouvoir hypnotique certain.
«Dazed and Confused», sur «I» (1968):
Avec Dazed and Confused, nous entrons dans le domaine du fétichisme et de l’expérimentation. Grossièrement mis en place, au moins dans la tête de Page, avant même la fondation du groupe, Dazed est la chanson phare des premiers âges, au même titre que Whole Lotta Love pour l’album II, Since I’ve Been Loving You pour III,Stairway to Heaven pour IV, etc. Un grand work in progress boursouflé qui peut atteindre la demi-heure sur scène et où, avec des allures de concertos rock, s’enchaînent riffs et ambiances guidés par une rachitique ligne de basse chromatique descendante. Du chant, des cris, de la wah, de la gratte jouée à l’archet, de la fuzz boostée en recherche d’une saturation maximale et un break fondateur enquillant les triolets sur quatre mesures… Terrible.
Pour ceux qui ont le courage ou veulent se recycler dans la confection de jaquettes brodées, les vingt-neuf minutes de Dazed and Confused en live et un patron à la guitare:
«What Is and What Should Never Be», sur «II» (1969):
Deuxième morceau du deuxième album, planqué après Whole Lotta Love,What is… est caractéristique de II : un titre à double vitesse, lent puis speed, avec dans la charnière un dépoussiérage complet -changement de thème, de tempo et d’intensité, sorte de deux chansons en une. On notera, dans celui-ci, un lent solo de slide, tellement réussi qu’on s’y ennuie, l’apparition du gong, dont les reflets cuivrés éclairent en halo la silhouette de Bonham en concert, et surtout la naissance d’une certaine proximité guitare-batterie, médiator et baguette frottant et tapant ensemble les breaks de l’outro, timidement, comme un grattement à la porte de la fusion et du metal.
«Moby Dick», sur «II» (1969):
Certes, Moby Dick est un titre plus populaire dans le genre «chanson à riff», mais c’est pas tous les jours qu’on entend trois minutes de batterie pure, la plupart du temps jouée sans baguette, peau contre peau, un riff en «drop D» (descente d’un ton de la corde de mi grave, un principe ultracourant de nos jours chez les métalleux qui veulent tirer vers le grave, la puissance et une certaine idée de la facilité digitale dans les accords de quinte -cet avis n’engage que son auteur, le journal dégageant sa responsabilité de ce genre de propos) [on comprend toujours rien, ndlc] et un bruit de médiator audible à chaque attaque de la corde de mi… de ré, pardon.
Bonus pour ceux qui n’ont pas la chance de squatter les studios de répète, de faire des emplettes à la Baguetterie ou qui vivent à la campagne loin des bruits de marteaux-piqueurs: Moby Dick en concert, dix minutes de batterie:
«Celebration Day», sur «III» (1970):
C’est la fête aux guitares fofolles (archicompressées, slide, avec des feedback étranges…) rejetées dans les pans et aux voix dédoublées de Plant bourrées d’effets quand basse sautillante et batterie découpent le centre du paysage auditif. La chanson permet aussi d’entrer dans la valse de titraille des œuvres du Zeppelin: un album intitulé Houses of the Holy pour une chanson Houses of the Holy située sur un autre album (Physical Graffiti) et un album live Celebration Day où la chanson Celebration Day n’apparaît pas… Il ne faut pas non plus confondre la chanson Bron Y-Aur Stomp et Bron Y-Aur (sans stomp), placée trois albums plus loin.
L’album III contient aussi le grand moment de Jimmy Page en studio : le solo de Since I’ve Been Loving You et ses trois bends de deux tons. L’insulte et les pleurs sont des réactions fréquentes à l’écoute de ce solo.
«Gallows Pole», sur «III» (1970):
Led Zeppelin a souvent emprunté ou repris les riffs de bluesmen, tels Willie Dixon ou Howlin' Wolf. Dans III, pensé et en partie composé dans un cottage sans eau ni électricité en 1970, c’est le folk qui a inspiré Jimmy Page et Robert Plant. Après les expérimentations (I) et le rock lourd (II), le groupe évolue avec une moitié d’album presqu’entièrement acoustique, et continuera de grandir dans IV pour arriver à maturité dans Houses of the Holy.Gallows Pole, traditionnel folk, est ici prétexte à un fourre-tout majeur (voix de Plant scandée blues sur des arpèges ruraux avec une pédale à la basse), chaque nouveau couplet apportant une incongruité pourtant évidente, jusqu’aux chœurs tribaux et au chorus de gratte vrillant les aigus.
On attend maintenant la réédition des autres albums pour continuer cette playlist.
Guillaume TION le 2 juin 2014 dans Libération
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