Selon le sociologue Emmanuel Négrier, auteur d'une étude sur les amateurs de musiques du monde aux éditions Le Mot et le reste, ces derniers seraient des « multigustatifs ». Ils ont été comblés par les propositions de Babel Med Music, le rendez-vous incontournable des musiques du monde, dont la 10e édition a drainé 12 000 spectateurs au Dock des suds, à Marseille, du 20 au 22 mars : des collectifs très agités, d'Amsterdam ou de Barcelone (Amsterdam Klezmer Band et Che Sudaka), de singulières inventions (les tissages raffinés du duo palestinien Sabil avec le quatuor à cordes Béla), des voix sublimes (la chanteuse azérie Fargana Qasimov), des musiciens époustouflants (le Malien Bassekou Kouyaté, acrobate du luth n'goni)…
Invité d'une table ronde éclairante sur la question des festivals, « piliers essentiels de la vie musicale », Emmanuel Négrier a rappelé à Marseille que le public des manifestations dédiées aux musiques du monde est sensible à l'éclectisme des propositions (musiques de type patrimonial ou contemporaines) et attaché à une certaine vision du monde : des valeurs humanistes et d'ouverture qui sous-tendent ces rendez-vous musicaux. Babel Med Music, qui s'autoproclame « amplificateur économique et culturel » lie salon professionnel international (environ 2 500 participants) et festival, ouvert au public.
Pendant trois soirs, une trentaine de groupes se sont succédé, dans des conditions d'écoute pas toujours idéales, choisis en amont par un jury réunissant essentiellement des directeurs artistiques de festivals (les journalistes spécialisés jusqu'alors associés n'ont pas été sollicités, cette année).
YOUYOU DÉLURÉ
Concentrée, la Portugaise Lula Pena, seule avec sa guitare, a su faire abstraction du brouhaha venant du fond de la salle du Cabaret où elle se produisait le 21 mars. La voix grave et profonde, elle est de ces chanteuses qui ont la capacité d'écouter le silence à l'intérieur d'elles-mêmes pour le faire ricocher entre les mots. Née à Lisbonne, elle dit se laisser inspirer par l'étrange, la liberté des jeux du hasard. Elle a ravi le public du Dock des suds.
Autre atmosphère, autres plaisirs le lendemain à la Salle des sucres, la plus grande des trois scènes du festival, avec Gargar, lauréat, cette année à Marseille, du Prix France Musique des musiques du monde. Accompagnées d'instruments « modernes » (guitares, clavier, batterie), quatre femmes joyeuses au youyou déluré interprètent avec fougue des chants somaliens ancestraux.
« Je mélange tout et c'est tant mieux » scandait, comme en écho à ce mélange de saveurs, Big Buddha. Celui-ci est la voix et l'auteur des textes de Goldenberg & Schmuyle, l'attrayant projet musical et vidéo concocté avec Laurent Pernice et Denis Dezenn. Le trio marseillais présentait quelques titres de leur cru en marge de la manifestation phocéenne le 21 mars à l'heure de l'apéro, au Nomad Café, à quelques centaines de mètres du Dock des suds.
Patrick Labesse Le Monde du 24 mars 2014
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