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vendredi 6 décembre 2013

Bernard Lavilliers chante Cendrars (Le Figaro)


INTERVIEW - Dans son nouvel album,Baron ­Samedi, l‘artiste a mis en musique La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, de Blaise Cendrars.

LE FIGARO. - Qu'est-ce qui vous a séduit dans la poésie de Cendrars ?

Bernard LAVILLIERS. - Je l'avais découvert adolescent, à travers des poèmes flash, des images qui claquaient, celles de Feuilles de route: «Iles inoubliables et sans nom/ Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu'à vous». La bourlingue, déjà, celle qui m'attirait. Avec Blaise, on est dans l'action, c'est ce qui m'a d'emblée fasciné. Aragon, que j'aime aussi, prenait plutôt des détours «poéteux». Avec la mise en musique de La Prose du Transsibérien, vaste poème mécanique et cinématographique, c'est un vieux rêve qui se réalise. Comme moi, Blaise n'aimait pas les contraintes et les clans ; il respectait les marginaux. Depuis, il m'est devenu un «vieux comparse», comme je le dis dans Y'a pas qu'à New York. Auparavant, j'avais enregistré Tu es plus belle que le ciel et la mer, qui s'ouvre ainsi: «Quand tu aimes il faut partir». Blaise était sensible et brutal, à mon image. Il s'est mis en danger. Sa vie a rejoint sa poésie.



Que peut apporter la chanson à la poésie?

J'ai déjà adapté Apollinaire, Aragon (Est-ce ainsi que les hommes vivent?),Tristan Tzara, Baudelaire(Les Promesses d'un visage)… Le chanteur a un rôle déterminant de passeur. Hugo le disait déjà. Il se doit de faire connaître les grands textes. Nous sommes les derniers passeurs. Les comédiens qui lisent de la poésie en font des tonnes, surjouent. Ils desservent les poèmes. Pour ma part, j'ai bien retenu la leçon de Léo Ferré, que j'ai côtoyé à partir de 1976, j'avais alors trente ans. Léo qui disait: «Le désespoir est une forme ­supérieure de la critique. Pour le ­moment, nous lŽappellerons “bonheur”.» Ce bonheur-là passe aussi par la poésie et la chanson.

Pour le compositeur, le poème est-il essentiel ou accessoire?


C'est une source, une fontaine inépuisable. Je lis beaucoup de poésie. Elle me nourrit. J'en lis sur scène, entre deux chansons. Je garde précieusement une édition originale et numérotée des Fleurs du mal… Vous connaissez cette fulgurance de René Char: «La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil»? (Il cite ensuite par cœur un poème de Valéry.) Le poète et le chanteur, et ce depuis les troubadours, sont à la fois Vulcain et Orphée: la forge et la lyre. Ils ont en commun l'amour de la beauté rythmique, des mots et de la liberté. Leur leçon est: «Retiens le poème qu'on te dit!» Et qu'on te chante…

Quels sont vos projets?


Je rêve de mettre en musique le fantasque Georges Fourest, les poèmes de sa Négresse blonde (il récite son pastiche du Cid, qui s'achève par «Qu'il est joli garçon, l'assassin de Papa!»). J'en ai d'ailleurs lu quelques-uns à l'Olympia… J'adorerais reprendre les chansons de voyous et de marins de Louis-Ferdinand Céline, Le Nœud coulant, par exemple…

Thierry Clermont, Le Figaro du 4 décembre 2013

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