Cinquante ans après ses débuts, la chanteuse soul américaine, qui poursuit sa tournée mondiale, est enfin reconnue à sa juste valeur.
Il n'y a pas de deuxième chance dans une vie américaine», écrivit Francis Scott Fitzgerald dans son chef-d'œuvre,Gatsby le magnifique. Le romancier aurait tempéré son jugement s'il avait eu la possibilité d'observer le parcours de la chanteuse Bettye LaVette. La sexagénaire donnait un concert la semaine dernière à Paris, dans le cadre d'une tournée célébrant ses cinquante ans de carrière. C'est à l'âge de 16 ans que cette native de Detroit a enregistré son premier 45 tours,My Man - He's A Lovin Man, qui lui valut de partager la scène avec Ben E King ou un Otis Redding alors débutant. Ce n'est pourtant qu'à l'approche de la soixantaine que la chanteuse a enfin été reconnue et appréciée à sa juste valeur, après des années dans l'obscurité. «Il a fallu que j'atteigne l'âge de 60 ans pour payer des impôts, dit-elle. J'étais si heureuse de le faire!»
Bettye LaVette aurait dû figurer parmi les plus grandes interprètes de soul music issues des années 1960. Au lieu de cela, elle aura passé le plus clair de son temps à essayer de survivre dans un milieu qui ne voulait pas d'elle, sans jamais abandonner l'idée de vivre décemment de la musique. «Ce qui m'a aidée à tenir, c'est que je ne me souviens pas des mauvais côtés, je me concentre sur le bon», affirme-t-elle. Elle vient de publier une autobiographie,A Woman Like Me (Bue Rider Press), disponible en anglais uniquement. «On m'a envoyé un auteur, David Ritz, qui m'a demandé de développer des anecdotes comme je ne l'avais fait auparavant», explique-t-elle. La lecture de ce récit est souvent vertigineuse, à la mesure des déconvenues d'une femme dont la vie semble avoir été guidée par la poisse pendant des décennies. Et les mauvais choix. Alors qu'elle souhaite quitter le label Atlantic, Jerry Wexler lui propose de travailler avec un jeune compositeur nommé Burt Bacharach.
LaVette refuse. «Il n'était pas le Bacharach que l'on reconnaît aujourd'hui, se défend-elle. Et je voulais travailler avec Leiber & Stoller.» Bettye LaVette reconnaît elle-même qu'elle a souvent été stupide et peu avisée dans ses décisions professionnelles. «J'étais tellement bête! Je suis devenue une meilleure personne.» Signée par le label indépendant Anti, dont le patron a l'âge de sa fille, Bettye LaVette publie, depuis 2005, des albums enfin à la hauteur de son timbre. Le dernier en date, Thankful'n'Thoughtful, est une incontestable réussite. Elle y reprend une chanson de Neil Young, dont elle avait déjà interprété le tube Heart of Gold, en 1972, sur un de ces disques obscurs. Elle donne aussi une interprétation du standard irlandais Dirty Old Town, dédié à sa ville, Detroit. Ces dernières années, Bettye LaVette déguste une reconnaissance aussi tardive que bienvenue. «J'aurais bien sûr aimé que cela m'arrive il y a trente ans, mais j'ai enfin tout ce dont j'avais besoin: un mari, un producteur, un manager et une maison de disques.»
C'est grâce au soutien du public européen que le vent a commencé à tourner pour LaVette. Dans les années 1990, elle vient chanter en Grande-Bretagne, à l'invitation des amateurs de Northern Soul, prêts à exhumer tous les artistes obscurs de soul et de rhythm & blues américains. Et c'est grâce au Français Gilles Pétard, spécialiste du genre, que ses enregistrements inédits de 1972 seront diffusés pour la première fois, sous le titre Souvenirs, en 2000. Un premier pas vers la reconnaissance, qui remet Bettye LaVette en selle, après des dizaines de tentative ratées. «Personne ne m'aurait jamais laissé abandonner le chant. Mes amis m'ont aidée à me payer une voiture, à financer les études de ma fille, parce qu'ils ont toujours cru en moi, alors que j'étais sur le point de tout lâcher tous les deux mois.» Plusieurs investisseurs, dont Alicia Keys, ont acheté les droits du livre de Bettye LaVette afin de porter sa vie à l'écran. Il ne reste plus qu'à trouver une actrice au tempérament aussi bouillonnant que le modèle original, véritable modèle de vitalité.
Olivier Nuc, Le Figaro du 10 décembre 2012
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