LE FIGARO. - Ces dernières années, vous vous étiez plutôt consacrée à la photo et à la littérature. Quel effet cela fait-il de publier votre premier album original en huit ans?
Patti SMITH. - J'ai passé beaucoup de temps sur les routes ces dernières années. En partie avec mon groupe mais aussi dans d'autres projets intéressants: mon exposition à la Fondation Cartier, qui m'a pris sept mois, m'a permis de prendre confiance dans mon travail de photographe, j'ai réalisé mon premier film et j'ai complété l'écriture de Just Kids, qui m'a demandé énormément d'énergie. Ce livre a été mon projet qui a recueilli le plus de succès de toute ma carrière. Je ne suis pas une pop star, et l'écriture de chansons ne fait pas partie de mon quotidien. Mais, pour moi, faire un disque est un merveilleux moyen de communiquer avec les gens. C'est aussi une collaboration, qui met en avant mes idées et aussi celles de mon groupe.
Que vouliez-vous exprimer sur ce nouvel album?
Banga montre l'évolution et l'épanouissement de mes musiciens. Tony Shanahan, qui est avec nous depuis 1995, a écrit quatre chansons, toutes très musicales. Quand il ne joue pas de musique, il fait du pain dans une boulangerie. Il n'a jamais connu de grand succès. C'est lui qui a mixé le disque. Je suis très fière de lui. Lenny (Kaye, guitariste depuis 1974) et moi ne changeons pas. Je ne saurais expliquer en quoi ce disque est différent des autres. Ce n'est pas tant un disque politique qu'un disque humaniste.
Vous y chantez mieux que jamais. Comment êtes-vous parvenu à garder votre timbre intact?
Je prends grand soin de ma voix: on ne peut pas fumer de l'herbe, boire et prendre de la drogue si l'on veut préserver sa voix. J'ai 65 ans maintenant, je ne peux plus me permettre ce train de vie. Si je veux chanter pour les gens, je dois faire attention à l'instrument qui me permet de communiquer.
C'est un disque à la dimension très spirituelle. La chanson Maria évoque l'actrice Maria Schneider, mais elle pourrait aussi s'adresser à la Vierge Marie…
J'avais connu Maria dans les années 1970 mais nous nous étions perdues de vue. Elle a passé du temps avec nous à l'époque de Horses, en 1975. Elle avait déjà tourné Le Dernier Tango à Paris et Le Passager, nous partagions beaucoup, notamment l'abandon et l'excitation de ces années-là. J'ai été très triste à l'annonce de sa mort: cela a signalé que cette époque ne se reproduirait plus. C'est probablement la seule chanson nostalgique du disque.
This is The Girl est une composition en hommage à Amy Winehouse…
Cette chanson était un poème que Tony a mis en musique ensuite. Je ne connaissais pas Amy mais elle avait l'âge d'être ma fille. Sa voix était unique, et sa connaissance de la musique de ma génération aussi! Je pense qu'elle aurait été une personnalité importante des années à venir. J'aurais aimé pouvoir lui parler, lui dire de prendre soin d'elle. Mais j'ai appris que les gens autodestructeurs ne peuvent être sauvés que par eux-mêmes.
Quel est le meilleur conseil que vous ayez pu donner?
La première fois que je suis venue en Europe, en 1976, les gens enviaient le club new-yorkais CBGB. Je leur disais: «C'est un trou à rats avec un mauvais son, qui sent la bière et la pisse. Vous êtes sûrs que vous n'aviez rien dans ce genre?» Mon message a toujours été d'encourager les gens à être ce qu'ils sont, sans se soucier des modèles. Si je les influence, très bien. Michael Stipe, chanteur de R.E.M., m'a dit un jour qu'il n'y serait pas arrivé sans moi. Mais avec sa voix, son écriture, son intelligence et sa sensibilité, il aurait trouvé son chemin.
La critique
Très marqué par la politique américaine et le climat des années Bush, Trampin', en 2004 n'avait pas fait date. Après avoir succombé à l'exercice de l'album de reprises (Twelve) en 2007, la poétesse et rockeuse revient à son meilleur niveau sur Banga (SonyMusic). Derrière ce titre inspiré par Boulgakov, la sexagénaire a regroupé un bouquet de compositions marquantes, rehaussées par une réalisation presque pop. La fraîcheur de sa voix et la vivacité du propos rapprochent ce disque des climats de Horses, qui l'avait révélée, en 1975. Tom Verlaine, guitariste de Television, y fait une apparition, ainsi que les deux enfants de Patti Smith, Jackson et Jesse (respectivement à la guitare et au piano). Inspirées par la catastrophe de Fukushima (Fuji-San), la découverte de l'Amérique (Amerigo) ou l'anniversaire de Johnny Depp (Nine), les chansons sont traversées par un humanisme et une fièvre constants. Plus apaisée que jamais, la New-Yorkaise, qui a réalisé elle-même ce disque, s'offre un petit plaisir en clôturant l'album par une chanson de celui qu'elle considère comme son frère spirituel: After the Goldrush, de Neil Young.Article de Olivier Nuc, le Figaro du 5 juin 2012
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